Je ne me fais nullement pas l’ambassadrice de la langue française, langue coloniale que je me retrouve à parler par obligation, non par choix. J’aurai voulu parler une des nombreuses langues dont est riche mon Afrique de l’ouest.
Je suis arrivée à Cape Town en Afrique du sud pour prendre part à la toute première conférence LBQ qui s’est tenue du 06 au 09 juillet 2019, ma première conférence et j’ai été heureuse de voir qu’il y avait autant de diversités, en matière d’identité et aussi au niveau des origines linguistiques.
Il y avait des francophones, des arabophones, des lusophones, des anglophones ; j’y retrouve même quelques langues africaines telles que le fon, le swahili, le zoulou, etc. La veille de la fin de cette conférence, j’ai été désignée par un ensemble d’activistes francophones pour rédiger une pétition ayant pour titre : Justice linguistique (cf fin de l’article). Même si cette pétition n’a pas contribué à un changement durant cette conférence, nous avons espéré et nous espérons encore que ça fera réfléchir, surtout pour les conférences LBQ futures ou autres espaces pour les communautés LBQ.
Le constat était sans appel : Cet espace était totalement anglophone.
Toutes les sessions auxquelles nous assistions pendant la conférence sont en anglais sans aucune traduction et, les quelques rares personnes pouvant les faire devaient chuchoter pour un groupe de 10 à 12 personnes. Dans certains cas, les panelistes refusaient de parler plus lentement ou de faire de courtes pauses afin de permettre à celles qui pouvaient traduire de le faire.
Nous nous en sommes plaints-es le troisième jour de la conférence, marqué par un boycott des sessions à cause à notre profonde frustration.
L’Organisation de la Conférence nous a alors envoyé donc une traductrice pour un groupe de 12 personnes ne voulant pas forcément assister aux mêmes sessions.
Cette situation m’a poussé à me poser des questions sur la place des langues qu’elles soient coloniales ou Africaines dans les espaces régionaux et internationaux.
J’ai commencé à investiguer et la réponse à cette préoccupation par Joe Mandeng m’a fait clairement comprendre que cet état de fait date: « J’ai eu l’opportunité de participer à plusieurs conférences sur le VIH, notamment ICASA, IAS, et ce n’était que l’anglais qui était parlé dans toutes les salles. Si tu es un.e francophone sans connaissances de l’anglais, difficile voire impossible de suivre. Et Même en Côte d’Ivoire un pays francophone où il y avait eu ICASA, c’était le même problème. Quelle aberration ! »
Une autre activiste du mali qui a également été confrontée à ce même problème pense que cela est peut être imputable au budget:« Il n’y a probablement pas de fonds suffisants pour avoir toutes les traductions nécessaires. Cependant, il faut noter que les traductions même dans les grandes salles ne comblent pas le besoin ».
Pouvons-nous par conséquent prendre le problème de budget comme un frein quand quelques mois avant la conférence à Cape Town et ICASA, la CFCS de l’UHAI-EASHRI qui est une conférence majeure regroupant l’ensemble du LGBTQI africain, de la diaspora africaine et des bailleurs de fonds internationaux ne se fait-elle pas en plusieurs langues ? Y compris le swahili et le portugais ?
Quelques mois après la conférence LBQ, j’ai été confrontée encore une fois à ce problème. Urgent Action Fund Africa a organisé un webinaire majeure le 14 novembre 2019 à 14H . Le thème était : Where’s the Money for Women’s Rights Work ? – Où est l’argent pour le travail dédié aux droits des femmes ?
J’ai reçu l’invitation le 11 novembre 2019. Je me suis empressée d’être présente mais il m’était impossible d’y participer parce qu’aucune traduction n’était prévue pour les francophones pourtant je sais bien que UAF-Africa a des bénéficiaires francophones et il n’y avait pas un autre webinaire de cette nature programmée dans d’autres langues.
Alors est-ce un manque de volonté ? Un problème de budget ? Ou est-ce parce que le mouvement francophone ne suscite aucun intérêt ?
Nous ne pouvons pas nous plaindre d’un système patriarcal dominant que nous combattons et continuer de reproduire cette domination et exclusion dans nos mouvements militants. C’est une question de cohérence !
L’anglais est certes une langue très parlée au monde, la langue du business et des échanges internationaux, mais l’Afrique est riche de beaucoup d’autres langues telles que le français, l’arabe et le portugais. Il nous faut également réfléchir à la façon d’intégrer nos langues natives à l’instar du Bambara, du Wolof, du Haussa, du Fulfuldé, du Twi, du Swahili, du Lingala, du Mooré, etc. autres parce qu’en les oubliant, on crée une autre injustice linguistique. Parce que c’est une réalité : beaucoup de militants-es ne s’expriment que dans des langues locales.
Dans nos combats pour la justice et la liberté, comment pouvons faire entendre les voix de nos communautés les plus silencieuses sans leur donner l’opportunité de parler et d’être écoutées dans la langue dans laquelle elles sont à l’aise ?
La justice et l’inclusion linguistique comptent !
Pour la justice linguistique
Aux organisatrices et organisateurs de la conférence LBQ
Depuis notre arrivée, nous avons demandé à avoir accès aux documents traduits et on nous a assuré que ce serait fait. Mais nous constatons à regret qu’aucune de nos demandes n’a été prise en compte. Nous avons dû quitter un panel dont le sujet nous intéressait fortement parce que nous ne comprenions pas un mot de ce qui se disait. Comme solution, nous avons amené avec nous un interprète et des membres de la conférence se sont également portés volontaires pour nous aider avec l’interprétation et la traduction.
Cependant, ils n’ont pas assez de temps à consacrer à ces tâches, même après que les interprètes nous aient demandé de parler plus lentement et de nous accommoder. Nous avons également dû demander à des interprètes de chuchoter plusieurs fois des traductions pour un groupe de 10 ou 12 personnes. Il s’agit d’un groupe trop important pour qu’un seul traducteur puisse traduire avec succès. Pourtant, lorsqu’un activiste francophone a pris la parole, son discours a été intempestivement interrompu afin d’en permettre la traduction successive et à voix haute pour le bénéfice des groupes anglophones. Malgré nos innombrables relances concernant ce besoin, rien n’a été fait et la réponse, toujours identique : «Il n’est pas possible d’avoir l’information demandée en français.»
Aussi, nous aimerions vous rappeler que beaucoup d’entre nous parlent français, portugais, arabe, espagnol, ukrainien et d’autres langues suite à la colonisation. Nous croyons de ce fait que la langue anglaise ne devrait aucunement nous être imposée ou présentée comme une barrière dans ce contexte d’échange et de partage où les principes féministes sont incarnés.
Les principes, comme celui de l’égalité entre les identités, doivent aussi se situer au niveau des langues.
Alors nous venons dénoncer, à travers cet article, toutes ces inégalités que nous trouvons horribles et dommageables dans un espace qui est censé nous guérir, nous transformer.
Cape Town le 08 juillet 2019